L’anatomopathologie, une spécialité qui se digitalise 

Au mois de juin 2023, le ministre de la Santé lançait une mission pour faciliter la numérisation de l’anatomopathologie (dite anapath), cette spécialité à la base du diagnostic et de la décision thérapeutique notamment en oncologie. Une première enveloppe de 30 millions d’euros a été allouée pour accompagner les établissements de santé dans cette voie. Aujourd’hui, où en est la digitalisation de l’anapath ? Et quels sont les potentiels apports de l’Intelligence Artificielle (IA) dans cette spécialité ? Éléments de réponse avec le Professeur Julien Calderaro, pathologiste à l’Hôpital Henri Mondor (AP-HP) et auteur de plusieurs études sur le recours à l’Intelligence Artificielle dans le diagnostic du cancer. 

22/10/2024
Pr. Julien Calderaro

Pr. Julien Calderaro
Pathologiste à l’Hôpital Henri Mondor (AP-HP) 

La numérisation de l’anapath est amorcée au niveau international et européen. Où en est-on en France ?

Pr. Julien Calderaro : C’est un nouveau standard désormais intégré par tous car les centres ont bien compris que ne pas se digitaliser c’est se mettre dans une position très compliquée pour les années à venir. Il leur sera notamment difficile de recruter face à des concurrents avec des services d’anapath totalement digitalisés qui offriront des possibilités de télétravail, d’avis à distance, etc.

Aujourd’hui, tout le monde a pris conscience de cette réalité et l’on peut penser que, d’ici cinq ans, la digitalisation de la spécialité sera quasi-complète dans tous les CHU.

Cela semble tardif au regard de certaines autres spécialités comme l’imagerie par exemple. Comment l’expliquer ?

Pr. J. C. : En effet, la digitalisation de notre spécialité s’est accélérée depuis une dizaine d’années seulement. Ce retard s’explique par un premier facteur technique. Les volumes de données à stocker en anapath sont considérables : à titre d’exemple, dans le cas d’un cancer de la prostate, on peut avoir jusqu’à 80 lames, chacune pesant jusqu’à 4 gigas ! Il a donc fallu attendre que les technologies permettent de résoudre cette difficulté, ce qui est désormais le cas. Un autre obstacle est d’ordre médico-économique. En effet, en anapath, il faut de toute façon numériser la lame physique ce qui demande du temps et du travail supplémentaires sans entraîner d’économies directes, contrairement à l’imagerie. Cela a sans aucun doute été un autre frein à la digitalisation de notre spécialité.

Quelles sont les potentialités de l’IA en anapath ?

Pr. J. C. : Si elle ne pourra jamais remplacer les pathologistes, elle peut permettre d’automatiser certaines tâches chronophages comme le passage en revue d’un très grand nombre de lames, pour détecter des métastases dans des curages ganglionnaires par exemple. L’IA peut également apporter une aide au diagnostic en nous orientant vers une zone prioritaire après avoir « pré-screené » une lame par exemple.
Elle peut aussi servir de filet de sécurité et d’appel à la vigilance par exemple en attirant notre attention sur un élément qui aurait pu nous échapper. 

Et bien sûr, l’IA porte de belles possibilités en termes de prédiction, pour voir tout ce qui est trop subtil pour l’œil humain ou compenser une éventuelle variabilité entre les différents observateurs d’un cas. En ce sens, elle pourra permettre de résoudre le problème de la reproductibilité du diagnostic humain et des analyses pré-quantitatives même si cela reste, pour l’instant, très hypothétique.

Quelles sont les potentialités de l’IA en anapath ?

Pr. J. C. : Si elle ne pourra jamais remplacer les pathologistes, elle peut permettre d’automatiser certaines tâches chronophages comme le passage en revue d’un très grand nombre de lames, pour détecter des métastases dans des curages ganglionnaires par exemple. L’IA peut également apporter une aide au diagnostic en nous orientant vers une zone prioritaire après avoir « pré-screené » une lame par exemple. Elle peut aussi servir de filet de sécurité et d’appel à la vigilance par exemple en attirant notre attention sur un élément qui aurait pu nous échapper. Et bien sûr, l’IA porte de belles possibilités en termes de prédiction, pour voir tout ce qui est trop subtil pour l’œil humain ou compenser une éventuelle variabilité entre les différents observateurs d’un cas. En ce sens, elle pourra permettre de résoudre le problème de la reproductibilité du diagnostic humain et des analyses pré-quantitatives même si cela reste, pour l’instant, très hypothétique.

Que manque-t-il aujourd’hui pour que la digitalisation des services d’anatomopathologie réussisse ?

Pr. J. C. : La grande inconnue du modèle économique demeure. Cela reste en effet assez onéreux. Dans notre spécialité, il va donc falloir non seulement trouver un moyen de financer cette digitalisation mais aussi que ses gains soient vraiment significatifs pour que l’investissement soit acceptable. En l’occurrence, je pense que l’usage de l’IA pour les biomarqueurs devrait être remboursé sans trop de difficultés étant donné le bénéfice dans la prise en charge des patients. Pour autant, il est nécessaire de trancher rapidement cette question du modèle économique au risque de voir les investisseurs s’en désintéresser. Les résultats des études médico-économiques menées auprès des premiers utilisateurs sont attendus d’ici peu : ce sont elles qui permettront de savoir si les modèles d’IA offrent vraiment des gains en termes de temps, de ressources humaines, etc.

Une approche multimodale est-elle envisageable en anapath ? 

Pr. J. C. : C’est une perspective mais nous en sommes encore très loin ! À ce jour, il est déjà difficile de disposer de biomarqueurs validés et acceptés en unimodal donc une approche multimodale ajouterait encore une couche de complexité. Par ailleurs, cela nécessite des systèmes informatiques qui récoltent et intègrent toutes les données (cliniques, scanner et produit de contraste, lame digitale, génomique, etc.). La technologie pour le faire existe… mais les interfaces informatiques ne permettent pas de centraliser tout cela : dans certains hôpitaux, des centaines d’applications différentes, qui ne communiquent pas entre elles, sont utilisées. Ce challenge de l’intégration est un des obstacles majeurs à l’adoption d’une pratique multimodale. Celle-ci serait pourtant très intéressante dans certains cas pour pouvoir estimer la ou les modalités clés, celles qui apporteraient le moins d’informations complémentaires ou des informations redondantes, etc.

Quelles perspectives l’IA ouvre-t-elle dans le domaine de la recherche ?

Pr. J. C. : En tant que chercheur, je pense que l’on a vraiment besoin de fluidifier les process légaux et ceux de partage de données. Il est très compliqué, à l’heure actuelle, de monter des projets de recherche alors même que différentes lois, comme la loi Jardé, ont été promulguées afin de faciliter les études rétrospectives. Les délais pour pouvoir échanger des données dans le cadre d’études multicentriques sont excessifs, parfois jusqu’à deux ans ! Et c’est très interlocuteur- et/ou établissement-dépendant : il est parfois quasiment impossible de sortir des données de certains hôpitaux… Tout cela affecte les protocoles de recherche. Il faut donc absolument parvenir à établir des process et des guidelines pour les données utilisées et partagées en recherche, en fonction de leur type, afin de ne pas devoir repartir de zéro à chaque fois.

Les enjeux autour des données de santé anatomopathologiques sont divers. Pour résoudre celui du volume, le Professeur Julien Calderaro envisage une « probable étape où il faudra se concentrer dans un premier temps sur des pathologies clés ».

Sur le sujet de leur stockage, rappelons qu’à l’heure actuelle les données de lames digitales sont détruites au bout d’un certain temps. Mais grâce aux progrès des systèmes de compression, « on peut penser que dans un futur relativement proche les degrés de compression seront suffisants pour pouvoir stocker l’ensemble des données digitales d’anapath sur le long terme ». Et de préciser cependant que, malgré ces progrès technologiques, « dans les spécialités comme l’anapath où les volumes de données ne sont pas compatibles avec un stockage systématique de l’intégralité des données, on procédera probablement via des stockages thématiques » par exemple par pathologie ou par spécialité.

Quant à l’échange de données dans cette discipline où « l’on communique déjà beaucoup entre pathologistes pour se demander des avis », les espoirs portés par la digitalisation sont grands : « à l’heure actuelle, les lames sont envoyées par voie postale. Cela prend du temps et elles arrivent parfois cassées. Lorsque nous disposerons des réseaux sécurisés nécessaires entre les hôpitaux, nous pourrons obtenir un avis de manière quasi-instantanée. »