La ré-irradiation, une technique de pointe pour repousser toujours plus loin le cancer 

La décision de reprendre une radiothérapie n’est jamais anodine et, jusqu’à il y a quelques années encore, les ré-irradiations étaient très rares voire inexistantes. La raison ? Irradier une zone qui l’a déjà été précédemment peut entraîner des effets indésirables et des complications sévères. Cependant, les progrès technologiques de ces dernières années et, surtout, l’essor de l’Intelligence Artificielle, ont ouvert de nouvelles perspectives en matière de ré-irradiation. Le point avec le Dr Caroline Daveau, radiothérapeute à l’Institut de Cancérologie de Seine-et-Marne (ICSM), et Charbel Kassis, physicien médical, chef de l’unité de physique de l’ICSM, qui pratiquent cette technique.

26/11/2024

ARIAS : Qu’appelle-t-on exactement la ré-irradiation et pourquoi y a-t-on recours ? 

Caroline Daveau : Aujourd’hui, le développement des thérapies ciblées et de l’immunothérapie a permis d’améliorer de façon significative la survie liée au cancer. Par conséquent, l’espérance de vie des patients s’allonge et la question de la ré-irradiation se pose de plus en plus souvent en pratique clinique de la radiothérapie. Plusieurs cas peuvent alors se présenter : une récidive du cancer primitif sur un site initial déjà irradié (pour un cancer de la prostate, par exemple), une récidive de métastases sur un organe déjà irradié ou à proximité (pour une métastase cérébrale, par exemple) ou encore un nouveau cancer à proximité d’un premier cancer irradié (dans le cas d’un cancer sur l’apex pulmonaire qui surviendrait chez un patient qui a déjà été irradié pour un cancer ORL, par exemple).

ARIAS : Comment est prise une décision de ré-irradiation ?

Caroline Daveau : L’indication de ré-irradiation doit être discutée et validée en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) puis en staff technique de radiothérapie qui se compose toujours d’une double équipe médecin-physicien.

Charbel Kassis : En effet, une prise de décision médicale en RCP ne signifie pas nécessairement que la ré-irradiation est dosimétriquement et techniquement faisable. Parfois, on peut se retrouver confronté à des difficultés techniques qui entraînent une impossibilité de réaliser le traitement. Dans ce cas-là, une concertation entre physiciens et médecins a lieu pour trouver une solution alternative.

Caroline Daveau : C’est pourquoi le binôme médecin-physicien est indispensable. De fait, nous travaillons toujours en équipe de deux médecins et deux physiciens soit au minimum quatre professionnels pour valider une ré-irradiation. Dans certains cas complexes, l’ensemble des médecins du service se réunit avant décision finale.

Dr Caroline Daveau

Dr Caroline Daveau
Radiothérapeute à l’Institut de Cancérologie de Seine-et-Marne (ICSM) 

Charbel Kassis

Charbel Kassis
Physicien médical, chef de l’unité de physique de l’ICSM


ARIAS : Quels sont les conditions et prérequis pour envisager une ré-irradiation ?

Caroline Daveau : Sur le plan clinique, il est indispensable de connaître tous les traitements systémiques antérieurs et actuels du patient. Nous avons également besoin des dossiers techniques des irradiations précédentes afin de connaître la dose reçue, le fractionnement, la technique de radiothérapie utilisée et le délai entre cette ancienne irradiation et la nouvelle ré-irradiation. Il faut également connaître la toxicité des irradiations antérieures. D’autres critères sont liés au patient lui-même : état général, comorbidités, âge, fonctions d’organes (notamment hépatique et rénale), mode de vie… Enfin, les caractéristiques liées à la tumeur – le type histologique du cancer primitif, le site précis de la récidive et son volume – doivent être prises en compte. Tous ces arguments permettent d’appréhender en partie la tolérance : de toute évidence, plus le volume sera important, plus le risque de mauvaise tolérance le sera également.

Charbel Kassis : Notons également qu’un centre ne peut pas se permettre de s’attaquer à la technique de ré-irradiation sans avoir au préalable une grande expérience en stéréotaxie depuis plusieurs années. On ne débute pas directement par des cas de ré-irradiation !

ARIAS : Ces conditions toutes réunies, quelles sont les premières étapes nécessaires à l’élaboration du plan de traitement ? 

Caroline Daveau : Nous commençons par définir l’intention de traitement : est-elle palliative pour soulager les symptômes du patient ou est-ce une stratégie curative afin de détruire l’ensemble des cellules cancéreuses pour une rémission complète ? De cette intention de traitement découle le projet thérapeutique, c’est-à-dire soit un contrôle local, soit une prise en charge symptomatique, soit une prolongation de la survie du patient. Pour planifier le traitement, des informations concrètes de dosimétrie sont ensuite nécessaires pour savoir si le patient va tolérer cette ré-irradiation.

ARIAS : Justement, comment le traitement est-il construit sur le plan dosimétrique ? 

Charbel Kassis : Nous importons les données relatives au traitement de radiothérapie antérieur dans notre système de planification de traitement (TPS). Ce logiciel de calcul est notre base de travail et va nous permettre de sommer le traitement antérieur avec celui qu’on projette de faire et d’obtenir une équivalence de doses. En effet, dans une radiothérapie par fractionnement classique, la dose se situe aux alentours de 2 Gray (Gy) par fraction. En stéréotaxie, on utilise des doses entre 6 et 15 Gy par fraction. Mais l’anatomie du patient peut avoir changé depuis la précédente irradiation. La difficulté est donc de calculer l’équivalence puis de reporter cette équivalence en prenant en compte la possible évolution de la morphologie du patient. Pour ce faire, on recourt à des logiciels dotés d’Intelligence Artificielle, capables de sommer l’ancien traitement et le nouveau traitement et de tenir compte de la modification morphologique pour donner une équivalence de dose avec précision, voxel par voxel, et nous permettre d’évaluer la dose cumulée que recevraient les organes à risque.

ARIAS : Dans quelle mesure l’Intelligence Artificielle participe-t-elle de cette nouvelle approche de la radiothérapie avec la ré-irradiation ? 

Charbel Kassis : Cela apporte beaucoup à chaque étape de la démarche. Dès l’imagerie de planification, les logiciels de contourage dotés d’IA vont aider à délimiter les organes à risque. A cela s’ajoutent donc des systèmes capables de calculer l’équivalence de doses et la déformation des courbes iso-doses. Ainsi, on va pouvoir savoir immédiatement si nos contraintes sont acceptables. Avant l’accès à ces logiciels, on utilisait un facteur multiplicatif appliqué à l’ancien traitement mais cela surestime l’ancienne dose et, par conséquent, sous-dose le traitement actuel. Pendant le traitement lui-même, la radiothérapie guidée par l’image (IGRT) va gérer la précision et le ciblage.

Caroline Daveau : L’IA nous permet de gagner en précision et en reproductibilité du traitement. Nous pouvons ainsi traiter nos patients de façon plus efficace avec un risque moindre de toxicité.

ARIAS : Quels sont les bénéfices pour les patients ?

Caroline Daveau : Comme on peut visualiser le traitement antérieur de manière très précise, on dispose de l’information nécessaire pour savoir si l’on peut ré-irradier et, surtout, si on peut le faire dans de bonnes conditions. C’est un réel gain de chances pour le patient. De plus, cela permet aujourd’hui de traiter plus de patients et d’obtenir des résultats satisfaisants sur le contrôle local, les symptômes, la survie ou le délai d’initiation d’une nouvelle chimiothérapie.  

ARIAS : En termes de recherches et de perspectives, qu’imaginez-vous dans ce domaine ? 

Caroline Daveau : À ce jour, nous n’avons pas mis en place de projets internes de recherche mais une étude prospective observationnelle, « We care Study », va être mise en place pour définir des guidelines et des contraintes de doses de ré-irradiation. Il y a déjà des publications à ce propos mais ce travail permettrait à tous les médecins et physiciens d’avoir des recommandations précises.

Charbel Kassis : Sur le versant de l’Intelligence Artificielle, des études sont en cours au niveau national et international notamment sur les logiciels de contourage. Un autre exemple concerne la planification dosimétrique, laquelle est actuellement basée sur le scanner. L’objectif est de recourir à l’IRM comme référence, ce qui permettrait d’avoir plus de précision, notamment au niveau des tissus mous et en termes de contourage. A l’étape de préparation, l’IA en amont du traitement concerne la planification de celui-ci et le calcul des doses grâce à l’IRM. Le scanner est actuellement l’examen de référence pour la définition des volumes à traiter et des tissus sains à épargner, mais aussi pour le calcul des doses de radiothérapie. L'imagerie par résonance magnétique (IRM) permet une meilleure visualisation et caractérisation des tissus mous entraînant une délinéation plus précise des tumeurs et tissus sains. Cet examen non irradiant sera aussi demain l’outil de référence pour le calcul des doses. Une imagerie par résonance magnétique peut en effet être utilisée pour générer ce que l’on appelle un « pseudo-CT » sur lequel le calcul de dose sera effectué. Cette idée n’est pas nouvelle, mais les techniques d’intelligence artificielle laissent entrevoir un gain substantiel de précision et un gain de temps considérable dans cette étape (voir notre article sur le scanner synthétique). Pendant le traitement, le dernier programme alliant l’IA et la radiothérapie de haute technicité porte sur l’adaptation des traitements à chaque séance (voir notre article sur la radiothérapie adaptative).

Modalité de traitement de dernière génération et de haute précision, la radiothérapie stéréotaxique est fondée sur l’utilisation de micro-faisceaux convergents qui permettent d’irradier à haute dose de très petits volumes1. Elle est notamment utilisée pour traiter certaines tumeurs cérébrales. Proposée à l’ICSM depuis 2017, cette technique permet « d’affiner l’administration des traitements pour accroître la qualité avec une réduction du nombre de séances. La dose est concentrée au sein de la tumeur permettant un effet radio-ablatif à l’instar de la chirurgie mais sans incision ni exérèse de tissu ; et décroit très rapidement au-delà afin de protéger de façon optimale les organes à risque.

Initialement développée pour le traitement des tumeurs intracrâniennes, les indications se sont étendues aux pathologies extra-crâniennes grâce aux innovations technologiques, en particulier les lésions osseuses, pulmonaires et hépatiques, mais aussi certains cas de tumeur prostatique, de récidive ganglionnaire et de ré-irradiation ».2

Sources : 

« Technique », Institut national du Cancer, https://www.e-cancer.fr/Patients-et-proches/Se-faire-soigner/Traitements/Radiotherapie/Techniques#toc-la-radioth-rapie-st-r-otaxique

2 « Nos techniques d’irradiation », Institut de Cancérologie de Seine-et-Marne, https://www.icsm77.com/en-savoir-plus/#stereotaxique